BREVIAIRE D'AMOUR D'UN HALTÉROPHILE

de Fernando Arrabal.

Mise en scène: Saskia CohenTanugi. Décor et costumes: Bernard Michel. Avec JeanPhilippe Puymartin et Jacques Le Carpentier. Au PetitOdéon (18 h 30). Du 15 septembre au 18 octobre.

 

Le diable et le centurion

 

Le duel, féroce et sans pitié, auquel Arrabal nous fait aujourd'hui assister, sous le regard corrosif de Saskia CohenTanugi, nous met en présence d'un " Goliath " innocent et d'un " David " pervers, jouant au chat et à la souris dans les souterrains de quelque palais des sports, où médite un superbe haltérophile qui, par trois fois, et devant les foules impatientes et extasiées, va s'efforcer de vaincre son propre record. Quelle ascèse suppose un tel exploit, de la part de celui qui jure n'aimer que l'invisible " Phyllis ", et qui passion oblige s'interdit toute licence, tout excès, et jusqu'aux plaisirs les plus inoffensifs ?

Le malheur veut, hélas, que cet honnête " Monsieur Muscles " (Jacques Le Carpentier) reçoive la visite, ce matin fatal, d'un étrange diable (JeanPhilippe Puymartin), qui se prétend castrat et qui, sous le nom de " Tao ", pourrait bien n'être rien d'autre (ou rien de pire) que notre " Phyllis ", changeant de sexe pour la circonstance, et détruisant ainsi d'autant plus sûrement le gigantesque bébé qu'elle a pour amant, perçant enfin, avec une rare et précise cruauté, le talon de cet " Achille "...

Des écrans de télévision déjà nous avertissent qu'un fou criminel (mâle ou femelle) s'amuse à déchirer à coups de ciseaux le torse des haltérophiles qui traînent dans les parages. Job ferait bien de se méfier du gamin vicieux qui, à présent, se proclame son masseur (l'autre ? Il l'a assassiné. Mais vous vous en doutiez un peu ... ) Le voici donc seul, lui, si faible, mais si souple, torturant a plaisir le grand fauve, qui se défend si mal! Fionsnous à Arrabal, pour rôder encore et toujours autour d'un voluptueux corps à corps où notre Arlequin sadique tourmente si fort sa victime que celleci, par deux fois, échoue dans son ambition d'étonner le monde au seul bruit de son exploit.

 

Et si, à la troisième (et dernière) tentative, piqué par cet aspic, il triomphera de l'échec, ce sera pour trébucher sur une mort à laquelle finalement il se résigne, tant il la préfère encore, j'imagine, au cauchemar que lui inflige ce suppôt de l'enfer.. Mais au fait comment le démasquer ? S'agitil de " Tao " ? Ou plutôt de " Phyllis " ? Quelle importance ? Le sexe compte peu, à ce degré de corruption et de malfaisance. On reste sans voix, devant le véritable feu d'artifice de névroses infantiles et meurtrières. dont le clown malade ici présent nous donne la comédie. Superbe acteur, comme enroulé autour de la flamme noire qu'il fait danser entre lui et nous: " Otello ", en proie à " Iago ". Serpent et guépard... On rêve, devant un " joueur " qui sème autour de lui des lumières et des ombres. des luxures et des larmes que " Satan " lui envierait.

 

Patrick de ROSBO