La ROCHELLE
PATRICE POTTIER
Sur la terrasse ensoleillée de La Coursive, face au
port de La Rochelle, trois hommes sont assis. Au centre, Jean-Louis
Passek, fondateur et directeur du Festival; àses côtés,
deux monstres: Fernando Arrabal et Alejandro Jodorowsky. Face
à eux, un public questionneur où s'affrontent deux
générations de cinéphiles, pères
et fils. Pour les premiers, Arrabal, c'est leur jeunesse en ciné-clubs.
Pour les autres, c'est quasiment la découverte.
Le créateur espagnol offre un brillant one man show à
la Dali et conquiert tout le monde avec ses arguments personnels
Je ne touche pas, je plonge t-il. Il plonge I effet dans
cinéma, la poésie, la peinture, les maths et sur-tout
le jeu d'échecs, sa passion. L'unité, voilà
le mot clé de son uni-vers. Il évoque le premier
philosophe ionien, Thalès (pour qui, dans une goutte d'eau,
il y a toute la philosophie et la science du monde): Il cite
Octavio Paz, Borges, Bunuel, ses compagnons du Collège
de pataphysique «J'ai parcouru toutes les séquences
de la modernité dont la pataphysique est le dernier avatar.
Le cinéma est pa-taphysique.»
Fernando Arrabal. Devant les cinéphiles
de La Rochelle, le créateur espagnol affirme que le cinéma
est pataphysique.
Et puis, il y a l'humour d'Arrabal. «J'aimerais croire
en Dieu, avoue-t-il. Je prie tous les matins mai ça ne
marche pas.» Le théâtre: Une pièce
de théâtre montée, c'est une horreur, surtout
une pièce d'Arrabal!'> Et enfin: «On vit une
époque formidable. Dans les trois acceptions du terme:
très belle, très grande et qui fait très
peur.»
Quant à Jodorowsky, même combat cinématographique
Et même façon d'en découdre avec un langage
- celui du cinéma - dont il ignore tout du vocabulaire
commun (Jodorowsky s'était attaché avec des cordes
à son cadreur pour lui montrer exactement ce qu'il voulait
faire). Quand Arrabal parle d'amour et cite Thalès, Jodo
parle de bonté et cite Aristote. «C'est à
moi. que vous parlez, dit-il, ou au vieux cinéaste que
j'étais il y a trente ans?» Il évoque avec
Arrabal «les êtres qu'ils ont été et
qui sont morts».
Le prix d'une vie de cinéma
Fils de réfugié ukrainien exilé au Chili,
le cinéaste est né sous le signe de la différence,
donc de l'ex-clusion. «J'avais la peau trop blanche et
les yeux trop clairs, j'étais surdoué sans le savoir,
on se moquait de moi. Ensuite, j'ai été ex-clu
à cause de nies idées. Quand le monde ne peut te
détruire, il te digère! Aujourd'hui, je suis un
auteur de bandes dessinées accepté et on m'invite
dans les festivals.» Le réalisateur s'apprête
à recevoir à Chicago un prix pour l'ensemble de
son uvre, «2500 dollars pour une vie de cinéma».
Et dix ans après Le voleur d'arc-en-ciel, il prépare
son nouveau film, Triptyque. Puis ce sera Hong Kong où
il a rendez-vous avec le cinéma chinois.
Fidèle à son thème fondateur «Le monde
tel qu'il est», le Festival de La Rochelle préfère
la comparaison à la compétition (pas de palmarès),
la convivialité à la mondanité (pas de paillettes,
pas de starlettes), la découverte des inconnus ou des
oubliés, la vision de monde de film en film à travers
toutes les époques t (lire ci-dessous). Une grand-messe
pour 60000 fidèles boulimiques.
Un festival magique
'Le paradis des cinéphiles>, dit-on volontiers à
propos du Festival de La Rochelle. Une expression pour une fois
nullement usurpée. L'effer-vescence y est palpable, les
débats constructifs, et ses rétrospectives sont
après à satisfaire toutes les palettes de goût.
Les accros aux ci-nématographies du tiers-monde y trouvent
leur compte, comme les férus de muet ou les amoureux de
vieux films français. La Rochelle n'a jamais été
compétitif, mais c'est un festival qui n'hésite
pas à exhumer des uvres inconnues et à ré-habiliter
des noms tombés dans l'oubli.
Après Francesca Bertini, Pina Menicheili et autres divas
du muet, Brigitte Helm est cette année à l'honneur,
Qui se souvient de cette immense actrice, décédée
en juin
1996 à Ascona, au Tessin? Révélée
par Fritz Lang, sacrée star sous la bannière de
la UFA, puis dégoûtée du cinéma au
milieu des années 30, date à laquelle elle abdique
pour une retraite prématurée, Brigitte Helm reste
pour beaucoup l'héroïne d'un seul film, Métropolis.
Faute évidemment d'avoir vu les 40 autres titres.
La Rochelle remet le mythe à sa place. D'où son
caractère indispensable. L'Américain (d'origine
suisse) William Wyler, le Portugais Joao Mario GriIo le Russe
Karen Chakhnazarov, l'italien Silvio Soldini, en plus d'Arrabal
et de Jodorowsky, complètent avec bonheur le tableau.
Les cinéphiles qui font le voyage vers ce lieu magique
vont comme d'habitude se régaler jusqu'au 3 juillet prochain.
Pascal Gavillet
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