«L'époque est formidable, mais
elle fait peur, c'est ce que je préfère.»
Rencontre inévitable. Le héros du deuxième
film d'Arrabal, J'rai comme un cheval fou , (1973) se
nomme... Aden. Le cinéaste mais surtout poète (La
Pierre de la folie...), écrivain (Fêtes et
Rites de la confusion...), dramaturge (Le Grand Cérémonial
Et ils passèrent des menottes aux fleurs...), pam-phlétaire
(Lettre au général Franco), peintre (et
passeur de commandes pour qu'on le représente sur toile
: il faudrait un sacré gros livre pour les reproduire
toutes, signées Salvador Dali, Fernando Borero, Antonio
Saura, Luis Arnaiz...), photographe, champion d'échecs
(il tient une rubrique depuis vingt-cinq ans), satrape du Collège
de Pataphysique, président de l'association des Amis de
Roland Topor (l'un de ses plus fidèles compagnons de route,
avec Alejandro Jodo-rowsky)... Arrabal, donc, n'en est pas à
une « heureuse coïncidence près ».
Sa vie n'est faite que de mystères et de rebondissements,
dont il persiste à vouloir s'amuser coûte que coûte.
La douleur, elle, est passée dans son uvre. La plus vive,
celle de la disparition de son père, fait l'ob-jet d'un
livre qui vient de paraître, Porté disparu (PIon).
Appartenant à l'armée républi-caine, celui-ci
fut condamné à mort par les franquistes. Une peine
commuée en prison à vie. Le condamné s'évada.
On n'a jamais retrouvé son corps ni eu aucune nouvelle.
Enfin, presque. Il faut lire le livre... Arrabal grandit r s
d'une mère qui, seule, se déclare veuve. Il est
proclamé surdoué national grâce à
son brio en mathématiques. «Il n'était donc
pas question pour moi en faire un métier! ». Il
vient en France pour soigner une tuberculose et pour pouvoir
assister (enfin !) à des pièces de Brecht. Il rencontre
le peintre Jean Benoît, qui le conduit au groupe surréaliste:
« Au café, Breton était comme un toréador
gitan qui entre dans l'arène à Séville.
Très solennel. Près d'un grand miroir, il se servait
un bal-lon de rouge (là, Arrabal, digresse sur le symbole
du vin, du calice...) et buvait en faisant attention de faire
beaucoup de bruit; Il fallait qu'il prononce la phrase fatidique
:
"Vous êtes les bienvenus...' Et commençait
le dialogue platonicien... J'y suis allé pendant trois
ans. C'était merveilleux d'en-tendre parler poésie,
philosophie... Magritte venait, Mandiargues... C'est pour ça
que j'ai eu envie de reproduire ça... »
Ainsi naît le groupe Panique, au tout début des
années 60, avec Topor et Jodorowsky. < Panique parce
qu'il y a la racine pan qui veut dire "tout"
et que Pan est un dieu grec qui faisait rite.., mais si on regarde
bien, il faisait peut ! Comme notre époque : une époque
formidable, excitante, oui, grande et belle mais qui fait vraiment
peur. C'est ce que je préfère. Le groupe Panique
a ensuite bifurqué : on le trouvait trop vaticaniste,
trop bolchevik. Trop d'ordre !» C'est le foisonnement et
la pagaille qui régis-sent la vie et l'uvre d'Arrabal.
Car tout finir par se retrouver. Diogène, Platon et Socrate...
Leur enseignement et leur esprit demeurent dans les réunions
qu'Arrabal continue de fréquenter ou d'organiser... Car
les connaissances scientifiques nourrissent la poésie.
« Tour part de là. Les évidences sont toujours
scientifiques. Et dans les groupes, les plus blagueurs étaient
toujours les plus scientifiques. »
Arrabal ne s'arrête jamais. Déconcerter est son
privilège. Il enchaîne les brillantes démonstrations
et les souvenirs insensés. Il décline ses 67 ans,
alors que la bonhomie de son visage et la vivacité de
son regard lui en font paraître vingt de moins. «Je
veux abso-lument vivre jusqu'à 120 ou 140 ans...»
Quant au cinéma, il n'y va plus très souvent. Et
toujours dans les mêmes conditions : "Je ne vais voir
que les gros succès du box office. C'est passionnant.
Hollywood, par exemple, est entièrement dominé
par un seul homme; Borges ! Seven : c'est une nouvelle
de Borges ; il ont remplacé le quatre du livre
par un sept; Men in BIack : encore Borges ! Le
char qui porte l'univers entier dans le gre-lot de son collier,
c'est du Borges ! L'esprit de Borges domine le cinéma.
C'est le plus grand scénariste d'aujourd'hui. «
Ph.P
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