FILM:


28e FESTIVAL DU FILM

DE LA ROCHELLE


ARRABAL VA TOUJOURS COMME UN CHEVAL FOU...
Et c'est heureux. On le croyait rangé des voitures. Erreur I L'agitateur espagnol
- poète, peintre, cinéaste - continue de ruer dans les brancards. Le festival de La Rochelle lui rend hommage.

«L'époque est formidable, mais elle fait peur, c'est ce que je préfère.»

Rencontre inévitable. Le héros du deuxième film d'Arrabal, J'rai comme un cheval fou , (1973) se nomme... Aden. Le cinéaste mais surtout poète (La Pierre de la folie...), écrivain (Fêtes et Rites de la confusion...), dramaturge (Le Grand Cérémonial Et ils passèrent des menottes aux fleurs...), pam-phlétaire (Lettre au général Franco), peintre (et passeur de commandes pour qu'on le représente sur toile : il faudrait un sacré gros livre pour les reproduire toutes, signées Salvador Dali, Fernando Borero, Antonio Saura, Luis Arnaiz...), photographe, champion d'échecs (il tient une rubrique depuis vingt-cinq ans), satrape du Collège de Pataphysique, président de l'association des Amis de Roland Topor (l'un de ses plus fidèles compagnons de route, avec Alejandro Jodo-rowsky)... Arrabal, donc, n'en est pas à une « heureuse coïncidence près ».
Sa vie n'est faite que de mystères et de rebondissements, dont il persiste à vouloir s'amuser coûte que coûte. La douleur, elle, est passée dans son uvre. La plus vive, celle de la disparition de son père, fait l'ob-jet d'un livre qui vient de paraître, Porté disparu (PIon). Appartenant à l'armée républi-caine, celui-ci fut condamné à mort par les franquistes. Une peine commuée en prison à vie. Le condamné s'évada. On n'a jamais retrouvé son corps ni eu aucune nouvelle. Enfin, presque. Il faut lire le livre... Arrabal grandit r s d'une mère qui, seule, se déclare veuve. Il est proclamé surdoué national grâce à son brio en mathématiques. «Il n'était donc pas question pour moi en faire un métier! ». Il vient en France pour soigner une tuberculose et pour pouvoir assister (enfin !) à des pièces de Brecht. Il rencontre le peintre Jean Benoît, qui le conduit au groupe surréaliste: « Au café, Breton était comme un toréador gitan qui entre dans l'arène à Séville. Très solennel. Près d'un grand miroir, il se servait un bal-lon de rouge (là, Arrabal, digresse sur le symbole du vin, du calice...) et buvait en faisant attention de faire beaucoup de bruit; Il fallait qu'il prononce la phrase fatidique :
"Vous êtes les bienvenus...' Et commençait le dialogue platonicien... J'y suis allé pendant trois ans. C'était merveilleux d'en-tendre parler poésie, philosophie... Magritte venait, Mandiargues... C'est pour ça que j'ai eu envie de reproduire ça... »
Ainsi naît le groupe Panique, au tout début des années 60, avec Topor et Jodorowsky. < Panique parce qu'il y a la racine pan qui veut dire "tout" et que Pan est un dieu grec qui faisait rite.., mais si on regarde bien, il faisait peut ! Comme notre époque : une époque formidable, excitante, oui, grande et belle mais qui fait vraiment peur. C'est ce que je préfère. Le groupe Panique a ensuite bifurqué : on le trouvait trop vaticaniste, trop bolchevik. Trop d'ordre !» C'est le foisonnement et la pagaille qui régis-sent la vie et l'uvre d'Arrabal. Car tout finir par se retrouver. Diogène, Platon et Socrate... Leur enseignement et leur esprit demeurent dans les réunions qu'Arrabal continue de fréquenter ou d'organiser... Car les connaissances scientifiques nourrissent la poésie. « Tour part de là. Les évidences sont toujours scientifiques. Et dans les groupes, les plus blagueurs étaient toujours les plus scientifiques. »
Arrabal ne s'arrête jamais. Déconcerter est son privilège. Il enchaîne les brillantes démonstrations et les souvenirs insensés. Il décline ses 67 ans, alors que la bonhomie de son visage et la vivacité de son regard lui en font paraître vingt de moins. «Je veux abso-lument vivre jusqu'à 120 ou 140 ans...» Quant au cinéma, il n'y va plus très souvent. Et toujours dans les mêmes conditions : "Je ne vais voir que les gros succès du box office. C'est passionnant. Hollywood, par exemple, est entièrement dominé par un seul homme; Borges ! Seven : c'est une nouvelle de Borges ; il ont remplacé le quatre du livre par un sept; Men in BIack : encore Borges ! Le char qui porte l'univers entier dans le gre-lot de son collier, c'est du Borges ! L'esprit de Borges domine le cinéma. C'est le plus grand scénariste d'aujourd'hui. « Ph.P