A loccasion de la première en France de sa pièce « Lettre damour comme un supplice chinois>, Fernando Arrabal a rencontré le public à la maison du Off. Un auteur surpris et ravi du travail de la compagnie roumaine Théâtre Nottara-Bucarest.
Auteur prolifique sil en est (57 pieces de théâtre, 400 recueils de poésie sans parler de ses films), Fernando Arrabal connaît une sorte de purgatoire en France. Alors quil nétait pas rare, il y a une dizaine dannées, de trouver plusieurs pièces d au programme du festival, les metteurs en scène semblent actuellement le bouder. Cest à une compagnie roumaine, qui joue en français, que lon doit le plaisir de découvrir la dernière pièce d´Arrabal jamais jouée en France à ce jour.
Devant le mutisme des participants à cette rencontre, impressionnés par la stature de ce petit homme discret, Arrabal a pris les choses en voix. " Je peux me lever ? " demande-t-il... Il marche à pas tranquilles devant le public et commence à expliquer dans quelles circonstances il a écrit " Lettre damour ". Ou plutôt, il conte. Avec les digressions que la mémoire fait surgir, entraînant à sa suite les auditeurs dIsrael aux Etats-Unis puis en France. Il manie les seconds et énièmes degrés de sens comme personne. Donc, nous partons de Telaviv où Fernando Arrabal assiste à un récital de poèmes par Orna Porat. " La plus grande comé-dienne israélienne. Je ne comprend pas lhébreu mais jai entendu la gesticulation (le la voix Elle lui demande décrire une pièce pour elle. Arrabal écrit " Lettre damour " et la comédienne crée ce monologue en 1999. Un rôle sur mesure pour une lame de 75 ans. La mise en scène de Radu Dinulescu donne la parole à une jeune femme dune trentaine dannée et ajoute deux autres personnages. " Quen avez-vous pensé ? " demande un spectateur. " Formidable, très beau. Je laisse toujours aux metteurs en scène de lespace pour naviguer. Et, avoue Arrabal presque gêné, dans les trois quarts des cas je suis un peu scandalisé par ce que je vois. Gro-tesque, pornographique, criard. Arra-balesque. Alors, je suis toujours un peu inquiet. Mais là, je suis séduit, enchanté par le spectacle. Victoria Cocias est superbe. Elle a lâge des souvenirs, pas celui du monologue. Cest très, très bien. " Autre question concernant les rituels évoqués dans le texte de « Lettre damour ". " La cérémonie, le rituel cest une manière de sadresser à quelquun dont ne connaît pas la langue. "
Quant à la musicalité de son style, Arrabal insiste sur le fait que depuis le partage entre poésie et prose dAristote, la prose a quelque chose àdire. « Jai confiance dans linutilité des choses " affirme Arrabal qui raconte son entourage de scienti-fiques, dc grands autcurs, qui ont accepté de venir dans son apparte-ment de Paris, chez lui, "le tout petit " pour recevoir le titre de Satrape, suprême distinction décernée dans lintimité la plus complète par le groupe (le Pataphysique. Il sagissait (le Jean Baudrillard, dUmberto Ecco et (le Dario Fo qui ne se reconnaît que le nom de comédien. Lauditoire était sous le charme de la voix douce d´Arrabal et de ses contes des mille et un plaisir de lesprit. Mais les charmes, aussi puissants soient-ils, se rompent sous les coups des horloges. Lheure était au spectacle.
" Lettre damour comme un supplice chinois » théâtre du Bourg-Neuf, 13 h
Cette dernière pièce de Fernando Arrabal est autobiographique. Elle part de la révélation de la culpabilité de sa mère dans la condamnation àmort, puis de la disparition de son père lors de la guerre civile en Espagne. Une guerre qui a duré si longtemps. Jusquà ce jour où enfin,
la mère reçoit une lettre de son fils. Les souvenirs jaillissent comme des larmes longtemps retenues, entremêlés des instants de pur bonheur où elle était belle (le la beauté de son petit tant chéri. Avant quune paren-thèse de rage ne les fasse se dévorer au fond dun puits dangoisse. Comme les deux amants de la légende chinoise. Avant que lhistoire, cette marâtre, ne les transforme en ani-maux pourchassés. Victoria Cocias est rayonnante damour pour son fils, tordue de douleur sous ses reproches. Et comme elle relève la tète pour se défendre, pour le protéger. Même quand les lames des tarots viennent trancher lespoir dun amour total et éternel. Dragos Stemate est ce fils dévoré damour pour sa mère " Tu m´inspires des rêves plus riches que la vie ", il est le petit enfant taquin et ladolescent si dur qui sacrifie dans le sang rituel son enfance. " Je joue à être mon propre père ". La mise en scene de Radu Dinulescu est à la fois sobre et flamboyante. Elle permet aux deux comédiens de donner le plus riche deux-mêmes. Jusquà la brève apparition de la voyante (Emilia Dobrin) dune inquiétante froideur.
Mitzi Gerber
|