NOUVEAU LIVRE:



8/10/2002

Le piéton de l’absurde
TRAIT POUR TRAIT Fernando Arrabal pape du théâtre d’avant-garde dédie un. livre à son ami Topor


En apôtre de l’absurde, Fernando Arrabal se dit qu’une loi mathématique expliquera un jour pourquoi écrivains, peintres, photographes se sont accrochés à ses souliers aussi naturellement que les puces au flanc du chien errant. (Photo Alain Aubert/Le Figaro.)

A 70 ans, il n’a rien perdu de son goût. de la provocation
et continue, de travailler dixhuit heures par jour
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VIANMEY Aubert

L’autre jour, une flasque de whisky à la main, Fernando Arrabal a fait sensation au procès Houellebecq. Au président du Tribunal qui l’interrogeait sur sa profession, il a répondu :« piéton». Eclats de rire dans la salle. Et soulagement. A 70 ans (1), le pape du théâtre d’avant-garde des années 60-70 n’a rien perdu de son goût pour la provocation sur scène. Comme quand il invitait, sous les huées, les anarchistes espagnols de la Centrale nationale des travailleurs à revendiquer « leur droit aux apparitions de la Vierge». Ou quand il faisait fuir les spectateurs du Palace en leur offrant en guise de pièce un homme seul, assis en position du lotus, murmurant des propos incompréhensibles.
On l’avait un peu oublié. Réfugié dans son appartement bourgeois du XVIIe arrondissement, le petit homme continue pourtant d’inonder le monde de ses œuvres. Soixante-dix pièces, douze romans, seize essais et épîtres, cent cinquante livres pour bibliophiles, sept films, des expositions de photos et de peintures... Sa femme dit qu’il travaille dix-huit heures par jour, enfermé dans un bureau dans lequel personne n’a le droit d’entrer.
Lui dit, satisfait et fanfaron : « Ma vie une série d’échecs » Il voulait être soliste, il est sectateur à l’Opéra. Il voulait être champion d’échecs, il n’est bon qu’à tenir une chronique dans L’Express où souvent il parle de tout sauf de jeu. Il cultive à loisir son image d’artiste foisonnant à la parole déconnante. « même s’il défie Franco Franco (NDLR : pour avoir écrit une dédicace blasphématoire sur un de ses livres, il fut emprisonné à Madrid) et Castro, Arrabal n’est pas un contestataire, un prêcheur militant; c’est un homme qui joue; l’art tel qu’il le conçoit est un jeu, et le monde devient un jeu dès qu’il le touche», a écrit son ami Kundera.
Sitôt poussée la porte de l’appartement, le monde se met à tourner autour du maître des lieux. Son portrait peint sur tous les tons et sous tous les angles se répète à l’envi d’un mur à l’autre. La bouteille de Lirac, généreusement déposée sur la table de ferme, est décorée à son nom. Ici, des heures durant, pour peu qu’il ait un compa-gnon de la grappe à sa table, il défait le monde dans un joyeux délire verbal.
ll y a quelques semaines, Michel Houellebecq était de la par-tie. Il est resté dix heures. La conversation a dû sauter des Antiques aux mathématiques, des fourmis aux religions... Cer-tains soirs, ils viennent nom-breux se réchauffer au son de sa voix chantante, lancer des ana-thèmes sans lendemains, se ga-ver de formules à l’emporte-pièce et fabriquer des théorèmes à faire sortir de tombe tous les scientifiques. On y court... « Même Xavière Tiberi », confie-t-il fièrement. Au milieu de la pièce, Fernando Arrabal trône tel un petit duc au milieu de ses souvenirs. Dans un désordre aussi joyeux que sa vie, il les fait surgir un à un pareil à un magicien qui chercherait à épater la galerie en tirant un lapin de son cha-peau. « La vie m ‘a donné des joies que je ne mérite pas du tout », confesse-t-il.
Tout a commencé quand il arriva à Paris en 1955, à l’âge de 23 ans. Il avait décroché une bourse pour étudier pendant trois mois. Il n’était qu’un petit Espagnol à la santé fragile, dont le père avait été condamné à mort au début de la guerre ci-vile. Pour son plus grand bonheur, la maladie décida de se pencher sur lui. Elle le contrai-gnit à l’hospitalisation et à pro-longer son séjour dans in ville des Lumières. Il ne la quittera plus. Il en fera le centre de son univers, que dis-je, de l’Univers.
C’est à Paris qu’il s’attable avec les surréalistes parmi les-quels Magritte, fauché, se fait payer ses boissons. Là qu’il crée le mouvement Panique avec ses deux compères Jodorowski et Topor — son grand complice décédé il y a cinq ans, auquel il consacre un livre (2) ; qu’il joue aux échecs avec Tristan Tzara pendant les huit dernières années de’ la vie du fondateur du mouvement Dada; qu’il rend vi-site toutes les semaines à Io-nesco pour parler de l’existence de Dieu des après-midi entiers. Là encore qu’il se lie d’amitié avec Beckett, lequel écrira aux juges espagnols : « Arrabal doit beaucoup souffrir pour écrire. N’ajoutez rien à sa peine».
ll se perd avec délice dans le labyrinthe de sa mémoire comme s’il marchait dans les couloirs d’un panthéon tor-tueux. En apôtre de l’absurde, il se dit qu’une loi mathématique expliquera un jour pourquoi écrivains, .peintres, photo-graphes se sont accrochés à ses souliers aussi naturellement que les puces au flanc du chien errant. Il n’y en a qu’un dont il n’a pas envie d’évoquer le sovenir, c’est l’Américain Bobby Fischer, suprême génie des échecs, qui, en pleine guerre froide, mata la prestigieuse école soviétique. L’évocation de son nom suffit à faire pâlir Fer-nando Arrabal. Bobby Fischer, toujours vivant mais déjà dans la fosse commune. Pourtant, que ne l’a-t-il aimé!
En 1959, jeune écrivain, il est distingué par la Fondation Ford en compagnie d’autres auteurs européens parmi lesquels Italo Calvino et Günter Grass. Pour récompense, il est invité aux Etats-Unis. On lui propose de rencontrer l’écrivain de son choix. A Hemingway ou Mailer, il préfère Bobby Fischer, prodige de quinze ans inconnu au pays du base-ball. Il assiste à sa victoire aux championnats des États-Unis dans un self-service bruyant.
Il suit ébloui son ascension, lui consacre deux livres. Et puis... Patatras. « Je pensais que c’était un saint, un homme d’une intelligence supérieure qui sacrifiait tout à une idée noble. Et puis, il a fait ces horribles déclarations antisémites... », dit-il avec un accent de tristesse dans la voix. Il n’en veut pourtant pas aux échecs, qu il a découverts au sanatorium. Il continue quand il s’ennuie au théâtre à se réfugier dans des parties homériques.

(1) A l’occasion du 70’ anniversaire de Fernando Arrabal, l’espace Accatone à Paris accueille pour un mois (du 16octobre au 17 novembre) une rétrospective de ses films. Lecture de ses poèmes et pièces le samedi 19 et le dimanche 20 octobre.
(2) « Champagne, pour tous ! », Fernando Arrabal (Stock).

BIO EXPRESS
1932. Naissance

à Mellila 1936. Arrestation de son père.

1955. Obtient une bourse pour étudier à Paris.

1958. Mariage avec Luce Moreau, professeur de littérature. espagnol,

1967. Voyage en Espagne et arrestation.

1993. Prix de théâtre de l’Académie française.

2000. « Satrape » du collège de pataphysique.